Ce jour-là, mon père devait partir faire sa visite mensuelle à Katniss, dans le District 12. Et pour la première fois, j'ai eu un mal fou à le convaincre de me laisser venir avec lui. Il ne voulait pas que je vienne pour ne pas, soit-disant, attirer l'attention sur un rassemblement d'anciens rebelles. Sauf que je lui ai rappelé qu'Emily, la fille de Katniss et Peeta, faisait partie de mon réseau ; qu'elle se porterait donc volontaire pour la Moisson ; mais qu'elle n'avait pas ma formation de maniement d'arme, et que j'étais la seule chance qui lui était accordée de pouvoir survivre dans l'Arène.

Il a finalement cédé, et nous avons pris le train jusqu'au Douze. L'air était frais quand nous sommes partis, mais la chaleur nous a rapidement rattrapés et lorsque nous sommes arrivés au Douze, il était aux alentours de deux heures.

Je sautai du train et, suivie par mon père, me dirigeai d'un pas rapide vers la maison des Mellark. Je toquai poliment et attendis que quelqu'un ouvre. Ce fut Emily, et je me jetai dans ses bras à peine le battant poussé.

- Emily ! Comment vas-tu ?

J'étais tellement heureuse de la revoir ! Elle m'avait énormément manqué. Et puis, la Moisson approchait, et il fallait encore que nous nous entraînions toutes les deux. Mais pour l'heure, il fallait rester ici. Nous irions dans les bois plus tard.

- Katlyn ! Ca va super ! Et toi ?

Je me dégageai de ses bras pour lui répondre lorsqu'elle ajouta pour mon père :

- Bonjour Gale !

Aussitôt, je saluai Katniss qui arrivait derrière Emily avec un ravissant sourire -après tout elle ne savait pas que j'entraînais sa fille pour l'Arène- et mon père entra dans la maison.

- Bon les filles, il faut que je parle avec Katniss, allez donc faire un tour dehors ! nous dit mon père, en nous faisant un clin d'oeil invisible pour Katniss.

Je ne le fis pas répéter deux fois et m'emparai de la main d'Emily pour l'entraîner dans les bois. Nous dévalâmes la pente en courant et ne nous arrêtâmes qu'une fois dans une petite clairière où nous avions caché deux arcs et des épées en bois.

Emily avait l'air aussi impatiente que moi de reprendre nos leçons secrètes.

- Alors ? Où en étions nous, la dernière fois ? me demanda-t-elle avec entrain.

Je lui adressai un sourire et, sans un mot, récupérai nos deux épées en bois dans le tronc creux d'un vieux chêne. Puis je lui en lançai une et lui criai :

- En garde !

J'attaquai immédiatement, pour l'empêcher de réfléchir. Il fallait que ses mouvements deviennent automatiques, qu'elle cesse de penser à ce qu'elle faisait, que les coups lui viennent comme si elle avait pratiqué l'escrime toute sa vie. Et il nous restait si peu de temps !

Alors qu'elle parait en catastrophe un coup que j'avais volontairement porté très rapidement, je feintai à droite et me fendis sur sa gauche, arrêtant ma lame à quelques millimètres de sa hanche.

- Bien ! fis-je en me redressant. A toi d'attaquer maintenant, essaye de me toucher le plus près possible du coeur.

Une feinte de feinte ! Voilà qui devenait plus compliqué, songeai-je. Mais j'étais ravie ! Car cela prouvait qu'Emily avait très bien assimilé mes cours. Je lui fit un sourire approbateur et la gratifiai d'un :

- Super ! Aller, on continue. Cette fois, je veux juste que tu essayes de me toucher vers le haut extérieur de la cuisse droite. Tu ne veux pas me tuer mais me blesser. C'est parti !

Je me remis en garde et vérifiai sa position, que je rectifiai légèrement : il fallait qu'elle soit plus équilibrée sur ses jambes ! Déjà dans la réflexion de comment elle allait m'attaquer, elle était beaucoup trop en appui sur sa jambe droite et n'arriverait pas à reculer si j'attaquais par surprise. Je lui adressai un clin d'oeil avec la rectification pour qu'elle ne prenne pas la mouche, puis lui fis signe qu'elle pouvait y aller.

Bien joué ! pensai-je avec un sourire que je ne pus empêcher de laisse apparaître sur mon visage. Mais je maîtrisais cette feinte depuis toute petite, et je n'eus aucun mal à parer Emily.

Une simple glissade le long de son épée et j'aurais dû pouvoir la bloquer. Oui, avec une lame de métal, c'était simple comme bonjour. Sauf que nos épées étaient en bois, et que, bien sûr, ça ne marcha pas comme je l'aurais voulu.

Ma lame s'accrocha dans la sienne, et nos deux épées de fortunes restèrent imbriquées l'une dans l'autre. Je me mis à rire. Quelle parade miraculeuse !

Bon, mais ce n'était pas tout. Je me redressai et m'emparai des deux épées accrochées, que je jetai dans un buisson :

- Elles sont fichues ! Je demanderai à mon père de nous en fabriquer d'autres.

Je m'assis dans l'herbe tendre et invitai Emily, toujours en train de rigoler à cause de nos épées amoureuses, comme elle disait, à faire de même.

Je pouvais sentir l'angoisse d'Emily lorsqu'elle s'assit à côté de moi. Elle était fière de se battre pour lutter contre le Capitole, mais elle s'inquiétait de la réaction de ses parents, ce qui était parfaitement normal. Après tout, j'avais moi aussi été très anxieuse le jour où j'en avais parlé à mon père. Et encore, Elian était avec moi, donc je me sentais moins seule.

Après l'avoir écoutée, je n'essayai pas de la réconforter ; je savais que je n'étais pas très douée pour çça. Alors je lui proposai quelque chose, un truc auquel je pensais depuis un bout de temps déjà.

- Il faudrait que tu en parles à tas parents.

En voyant son air ébahi, je devinai ce qui allait suivre : elle allait me traiter de folle. Je continuai alors, l'empêchant de parler :

- Je veux dire, même s'ils ne savent pas que tu t'entraînes, ils sont au courant que tu as pris des tesserae. Et vu qu'ils t'ont inculqué des valeurs de liberté depuis que tu es petite, je ne pense pas que ta décision les surprenne. Ils vont sûrement être très anxieux, mais je serai avec toi, et on leur dira qu'on s'entraîne.

Je savais que révéler à ses parents ce qu'elle faisait en cachette dans les bois avec moi depuis deux ans maintenant serait difficile. Mais quelque part, je soupçonnais déjà Peeta, qui était très doué pour décrypter les gens, d'avoir des soupçons.

Je regardai Emily réfléclir. Elle était adorable quand elle faisait ça, elle avait l'habitude de froncer les sourcils à la manière de sa mère. Et puis, elle penchait la tête d'un côté puis de l'autre. Depuis le temps, j’avais appris à décrypter : la gauche, c'était le contre, et la droite, c'était le pour.

Mais lorsqu'elle releva les yeux vers moi, elle semblait tout de même inquiète :

- Tu viendras avec moi hein ?

Je lui adressai un sourire rassurant en répondant par l'affirmative. Jamais je ne la laisserai tomber ! Et puis, c'était aussi à cause de moi qu'elle avait été obligée de mentir à ses parents durant tout ce temps. Il était normal que je la soutienne !

- On rentre ? proposai-je en me relevant. Comme ça on a tout le temps de parler avec tes parents. Et puis, mon père veut que nous rentrions tôt dans le Onze, je ne sais pas pourquoi.

Je lui tendis la main pour l'aider à se redresser. Et ne pus retenir un sourire lorsque je remarquai qu'elle avait toujours les sourcils légèrement froncés.

A peine arrivées, nous nous dirigeâmes vers le salon d'où nous parvenaient des éclats de voix. En effet, mon père était en grande discussion avec Katniss et Peeta, qui venait de rentrer. Apparemment, Katniss et mon père se disputaient, et Peeta essayait de calmer le jeu. Sans grand succès.

Je m'avançai, tenant toujours la main d'Emily serrée dans la mienne. Katniss s'interrompit et nous regarda, pâle comme un linge. Mon père se retourna et nous fit signe d'approcher. Nous nous exécutâmes, et prîmes place sur le sofa que Peeta avait déserté pour s'asseoir à côté de sa femme.

Inquiète, je demandai :

- Que se passe-t-il ?
- Il se passe que le Capitole ferme les communications entre les Districts demain et pour toute la durée de la Moisson et des Jeux, répondit mon père.

Peeta ajouta d'un air sombre :

- Et ils ne les rouvriront que si la soixante-dix-huitième édition se passe très bien, qu'ils n'ont pas besoin d'intervenir pour calmer des débordements.

Par réflexe, je plaquai une main sur ma bouche et regardai mon père avec inquiétude. Alors que j'allais parler, il me devança, d'un ton tranquille :

- Katniss estime que nous ne devons pas risquer de mécontenter le Capitole en tentant, toi et moi, de revenir dans le Douze avant la fin des Jeux de cette année.

Je sentais Emily totalement paniquée.Pour essayer de la calmer, je serrai plus fort sa main dans la mienne et la regarda en penchant la tête légèrement vers l'avant, une manière de dire : on ne change rien à nos plans.

Je me tournai alors vers mon père, qui avait capté notre échange, pour lui confirmer, d'un simple hochement de tête, ce qu'il avait deviné. Il me répondit d'un mouvement identique : il nous soutenait.

Restait à convaincre Peeta et Katniss. Je savais d'avance que ma 'tante' allait tout faire pour nous dissuader d'entreprendre ce que nous avions décidé de faire, alors je me bloquai, subjectivement parlant, sachant qu'elle utiliserait la persuasion plus que la conviction pour nous faire changer d'avis. Peeta me paraissait plus serein. Si j'avais vu juste, il avait deviné notre petit manège et, bien qu'inquiet, avait décidé d'avoir confiance en sa fille.

Je me lançai alors, d'un ton égal :

- Emily et moi avons quelque chose à vous dire, Katniss, Peeta. Papa est déjà au courant.

Puis je me tournai vers ma 'cousine', lui faisant signe qu'elle pouvait parler.

Je soutins ma 'cousine' du regard pendant tout le temps que dura sa «confession». Je savais à quel point c'était dur pour elle, étant déjà passée par la case «tout révéler à ses parents» un peu plus de deux ans auparavant.

Et elle n'y allait pas de main morte ! Je vis du coin de l'oeil Katniss se crisper lorsqu'Emily annonça son intention de se battre. Peeta, bien qu'un peu raide, semblait plus inquiet de la réaction de sa femme que des révélations de sa fille. Je ne m'étais donc pas trompée, il savait ! Ou, plutôt, il avait des soupçons.

Lorsque ma brune cousine eut fini sa déclaration, Peeta se tourna vers elle et lui répondit d'une voix égale mais où transparaissait tout de même une certaine dose de fierté pour sa fille aînée :

- Je suis fier de toi, Emily.
-Fier ?! Mais Peeta, elle va se faire tuer !

Katniss était au bord de la crise de nerf. Je pouvais voir les fantômes de son passé, ombres terrifiantes nées de l'obscurité, voiler son regard plein de frayeur. Mais son mari semblait savoir comment faire, puisqu'il l'entoura de ses bras dans un geste très protecteur. Ma tante se calma petit à petit, et je pus ajouter :

- Emily et moi nous entraînons depuis deux ans à l'arc et surtout à l'épée. Et puis, elle sait reconnaître parfaitement les plantes comestibles ! Ne t'inquiète pas Katniss, elle saura s'en sortir.

Je savais que ce n'étaient que des paroles en l'air, destinées à rassurée une mère effrayée, mais je le pensais sincèrement. Et puis, Emily serait avec Elian et moi ! Et tous les autres, si j'arrivais à les contacter aussi pour leur annoncer que l'heure était venue.

Je fus obligée de lâcher la main d'Emily lorsqu'elle se leva, mais je n'aimais pas les larmes qui commençaient à lui monter aux yeux. Et la fêlure que j'entendais dans sa voix ne me disait rien qui vaille !

- Et…et si je meurs…eh bien ce sera en défendant toutes les valeurs que vous m’avez inculqué et je considérerai que ça en vaut la peine. Je serais la digne fille de Katniss Everdeen et Peeta Mellark.

Oui, la digne fille de ses parents. Mais elle l'étais déjà, à un point qu'elle ne pouvait pas encore mesurer. Elle avait agit comme sa mère au même âge, cachant à ses parents ce qu'elle faisait pour ne pas les inquiéter.

Lorsqu'elle s'écroula sur le torse de son père pour pleurer tout son soûl, je posai sur elle un regard compatissant. Ce n'était pas facile pour elle, elle n'avait que quatorze ans ! Katniss vint alors discrètement vers moi et me murmura à l'oreille :

- Promets-moi que tu feras tout pour la sauver.

J'acquiesçai en silence. Evidemment ! Je n'allais pas l'abandonner. Emily était comme une petite soeur pour moi et il était hors de question que je ne fasse pas tout ce qui était en mon pouvoir pour qu'elle survive aux horreurs qui allaient se produire.

L'air déterminé d'Emily lorsqu'elle certifia à ses parents que nous allions renverser de nouveau le Capitole me rassura. Sa crise de larmes m'avait inquiétée plus que je ne l'avouerai, mais elle s'était reprise et c'était tant mieux.

Katniss, rassurée elle aussi par la promesse que je lui avais faite, s'était emparée de la main de Peeta et observait sa fille aînée avec un regard mi-inquiet mi-résigné. Mon père me serra brièvement la main : sa manière à lui de me dire que j'avais fait le bon choix et qu'il était fière de moi.

- Bien sûr que nous allons le renverser ! Nous sommes les filles de nos parents, n'est ce pas Emily ? répondis-je à ma cousine d'un ton léger et avec un grand sourire.

Ca ne rata pas. Deux fossettes apparurent sur les joues d'Emily, suivies par nos rires mêlés. Je voyais mon père qui se retenait pour conserver un air sérieux, et Peeta souriait franchement, timidement imité par sa femme. Bon, au moins, l'ambiance était plus détendue.

- Nous allons passez à table alors fit Katniss en se levant. C'est l'heure du goûter et j'ai fait des crêpes. Emily, tu veux bien appeler ton frère ? Il doit être dans sa chambre.

Soudain, je me rendis compte que j'avais très faim. Nous n'avions rien mangé depuis le petit-déjeuner de ce matin, mon père et moi, et la mention de crêpes avait réveillé mon estomac. Je suivis ma tante dans la cuisine avec un immense sourire sur le visage, essayant de ne pas montrer que j'étais affamée.

Peine perdue. Mon estomac gargouilla comme si je ne l'avais pas rempli depuis six mois, faisant rire l'assistance.

William descendit à ce moment, et se jeta dans mes bras. je le fis tournoyer en l'air avant de le reposer, hilare. Il s'installa à côté de moi à table, et entreprit de me raconter la fois où il avait capturé un lapin dans un piège que sa mère lui avait appris à poser.

J'étais en train de déguster l'une des meilleures crêpes à la confiture de baies du monde lorsqu'Emily lança :

- Mine de rien, moi qui suis gourmande j’ai trop de chance ! Ma mère fait les meilleures crêpes du monde et mon père nous fait des gâteaux magnifiques et à tomber par terre !

J'éclatai de rire. Elle n'avait pas faux ! Ma mère savait très bien cuisiner aussi, mais uniquement les viandes que je lui rapportait de la chasse, et les fruits et légumes que nous produisions, dans le District 11. Elle ne savait pas faire les crêpes et allait chez le boulanger lorsqu'elle voulait un gâteau autre que des tartes aux fruits. Alors, c'est vrai que les délicieuses crêpes de Katniss étaient... extraordinaires ! Elle avait pris l'habitude d'en faire à chaque fois que nous venions.

- Emily a raison ! m'exclamai-je. Tes crêpes sont les meilleures du monde, Katniss.

Je ne pouvais pas, même après huit ans que je la connaissais, l'appeler «Kat». Non pas que ce surnom sonnât trop familier à mes oreilles ou aux siennes, mais appeler quelqu'un par mon surnom me faisait bizarre. Ca n'avait pas l'air de gêner mon père, qui lui demanda :

- Kat', tu me files les groseilles s'il te plaît ?

Nous y voilà. Mon père est un fanatique absolu des groseilles. Ne me demandez pas pourquoi, je n'en sais rien ! En plus, ces fruits sont acides au possible. Mais bon, il les adorait ! Katniss lui passa le bol remplit de baies rouges vif et mon père en préleva une énorme cuillère qu'il ajouta dans sa crêpe.