Le soleil était à peine levé lorsque je me réveillai, ce matin-là. Quelques rais de lumière passaient à travers les volets, et je songeai pour la dixième fois au moins qu'il faudrait les réparer. Mais la lueur de l'aube ne me dérangeait pas. Prenant soin de ne pas réveiller mon petit frère qui dormait dans le lit voisin, je me glissai hors de ma couche et attrapai un pantalon souple, un tee-shirt moulant, une veste chaude et confortable et mes bottes de chasse, que j'enfilai dans un parfait silence.

Je descendis ensuite à la cuisine, déserte à cette heure. M'emparant d'un morceau de pain, je vérifiai le contenu de ma besace. Deux galettes de blé, trois petits bouts de viande séchée et un petit fromage. Parfait. De quoi tenir une journée. Je remerciai en silence ma mère qui m'avait préparé tout ça la veille, et basculai une chaise contre la table, un moyen d'avertir le deuxième réveillé que j'étais partie à la chasse.

Je m'emparai de mon arc et de mon carquois, posés près de l'entrée, et sortis en silence de la maison. L'aube grise éclairait à peine le village, et je me faufilai dehors sans croiser âme qui vive. Avant de quitter les rues pour la forêt, je glissai un caillou plat sous les volets de la chambre d'Elian. Il comprendrait que j'étais partie vers notre repère, une clairière perdue connue de nous seuls.

J'avais besoin d'être seule ce matin, mais la présence de mon meilleur ami avait quelque chose de réconfortant. Et puis, il ne parlait pas inutilement, une grande qualité.

Je me glissai entre les arbres, aussi silencieuse que la brise du matin. A ce rythme-là, j'aurais atteint la clairière avant une demi-heure. Sauf si je m'arrêtais chasser entre temps... Ce que je fis. Une douzaine de grooslings étaient perchés sur les branches d'un chêne, c'était bien trop tentant; Je tirai une flèche dans la gorge de l'un d'eux, faisant automatiquement fuir les autres, mais qu'importe : je les retrouverais dans une heure si je revenais par ici.

Je cueillis de grandes feuilles d'une fougère qui poussait là pour envelopper le groosling et éviter qu'il ne tache mon sac.

Soudain, j'entendis une respiration derrière moi. Quelqu'un me suivait, et ce quelqu'un voulait rester discret, tout en me donnant une chance de le percevoir. Je souris intérieurement. Elian avait été rapide ! Mine de rien, je m'enfonçai dans un buisson, contournai rapidement un gros arbre pour me retrouver juste derrière lui, et lui sautai dessus.

Son cri résonna dans l'air frais du matin, aussitôt suivi par mon rire et par le sien.

Ce cri de surprise de mon meilleur ami me fit éclater de rire. Evidemment.

- Mais qu'est ce qu'il t'as pris de me coller une trouille pareille !!! s'écria-t-il d'un ton faussement indigné.

- Tel est pris qui croyait prendre ! m'exclamai-je avec enthousiasme.

Comme d'habitude, et je ne m'en lasserai jamais, la présence d'Elian à mes côtés avait chassé mes idées noires. Je les bloquai pour éviter qu'elles ne reviennent à la charge, et affichai un sourire ironico-ravi à mon meilleur ami.

Sa grimace en voyant ma besace me rappela son seul défaut : il n'aimait pas tuer les animaux, se contentant de les manger lorsqu'ils étaient découpés dans son assiette, et si possible, présentés en tranches ou en filets, le plus loin possible de la forme original de l'animal. Moi qui étais presque une chasseuse-née, j'avais du mal à le comprendre sur ce point, mais je le respectais, sachant que l'inverse était tout aussi vrai.

- Oh, tu as encore chassé... fit-il d'un ton amer.

- Que veux-tu mon cher, il faut bien se nourrir ! Mais je n'ai pris qu'un groosling ce matin. J'en prendrai d'autres ce soir, quand tu seras rentré si tu veux !

Prendre. Un euphémisme, bien sûr, mais un moyen comme un autre de ne pas trop dégoûter Elian. J'essayais toujours de chasser lorsqu'Elian était chez lui où qu'il partait devant moi, pour ne pas qu'il finisse dégoûté de moi à vie.

- J'allais vers la clairière. Tu m'accompagnes ou tu veux qu'on passe voir tes chevaux ?

La première fois qu'Elian m'avait montré ces animaux majestueux, j'étais restée sans voix. Quelle grâce, quelle allure ! Mais j'étais bien trop apeurée pour les approcher sans mon meilleur ami. Qui, d'ailleurs, les avait totalement apprivoisés ! Il avait un don, avec tous les animaux d'ailleurs. C'était aussi pour ça qu'il détestait autant que je les tue. Mais enfin, les temps étaient durs, et la viande de boucherie du District 10 se faisait rare voire inexistante ces derniers temps.

Je me relevai et, bonne joueuse, lui tendis une main pour l'aider à se redresser.

Elian accepta mon aide et se releva, tout en me répondant :

- Comme tu veux, j'ai déjà été les voir hier tu sais. Ca te ferais plaisir ?

J'affichai un sourire mi-ravi, mi-ironique. C'est ça, Elian Black'Mor, moque-toi de moi, je sais que tu meurs d'envie d'aller les voir ! Si ta famille ne s'inquiétait pas, il pourrait y passer la journée. Et l'envie que j'avais entendue dans sa voix le trahissait.

J'allais lui répondre par l'affirmative lorsqu'il me prit de vitesse et ajouta d'un air blasé :

- Il faut que je cueille des baies et des herbes. Si possible comestibles, je n'ai pas envie de réempoisonner ma famille à nouveau.

Je me rappelais cet épisode. Il était parti seul, avec une description des branches de carottes qu'il devait ramasser faite par sa mère. D'habitude, je l'accompagnais, pour le conseiller, mais j'étais dans le Douze celle fois-là. Elian avait ramené de la ciguë à ses parents, et manqué de tuer toute sa famille.

- Ne t'inquiète pas, je t'aiderai pour les baies ! Et j'ai trouvé des katniss dans une des mares en bas de la falaise, on pourra en récolter si tu veux. C'est pile entre les chevaux et notre clairière, top non ?

Je lui adressai un clin d'oeil, qui ramena le sourire sur son visage. J'adorais le voir sourire. On aurait dit qu'il aspirait tout ce qui était triste autour de lui, mes pensées négatives comprises. Je l'observais souvent à la dérobée lorsqu'il échangeait, parlait, communiquait -je ne saurais décrire le terme exact- avec un animal pour la première fois : il avait souvent cet air ravi sur le visage, une expression de tranquillité heureuse qui me rassérénait.

Je ramassai ma besace, qui était tombée lorsque je lui avais sauté dessus, et me mis en garde-à-vous.

- Je vous suis chef, quand vous voulez chef ! m'exclamai-je en essayant de ne pas éclater de rire devant son air mi-résigné, mi-ironique.

Je savais pertinemment qu'Elian n'aimait pas que je l'appelle «chef». Et pourtant, avec sa force tranquille et son esprit fin et analytique, il méritait plus que quiconque cette appellation -plus que les paons hautains du Capitole. Je l'avais toujours perçu comme une sorte de chef depuis le jour où, lors de ma première semaine d'école, il avait fermement conseillé à une bande de grands qui m'embêtaient de me laisser tranquille. Mon adorable protecteur.

Je me laissai entraîner avec plaisir. Je connaissais la majeure partie du bois par coeur, mais, d'un accord tacite avec mon meilleur ami, je ne m'approchais pas des chevaux -de ses chevaux- sans lui, et n'explorais pas la partie est-sud-est du bois. Une manière de respecter ses moments privilégiés avec ses amis si élégants.

Elian me guidait sans hésitation entre les arbres, évitant là un terrier de lapins qu'il ne voulait pas déranger, ici un buisson de ronces qui se couvrirait bientôt de mûres, là encore un trou entre les racines d'un chêne qui devait avoir au moins cinq siècles. Les frondaisons nous protégeaient de l'air encore humide de l'aube, et la fraîcheur était agréable, même si je me félicitais d'avoir pris une veste légère.

Nous arrivâmes dans une vaste clairière, presque une prairie au coeur de la forêt. L'herbe haute et verdoyante bougeait comme la surface d'un lac sous les caresses de la brise matinale. J'aperçus le troupeau de chevaux qui paissaient paisiblement à quelques centaines de mètres de nous.

Les chevaux étaient magnifiques. Ils avaient leur place dans la plaine, autant que l'herbe et que le vent. Elian m'annonça d'un air absolument ravi une naissance au sein du troupeau. Je souris. C'était un évènement marquant, et j'étais heureuse que mon meilleur ami puisse vivre ce moment.

Le chef du troupeau, le vieil étalon gris, trotta vers nous. Il salua Elian d'un hennissement joyeux, et coucha les oreilles en ma direction. Je ne bougeai pas d'un poil lorsque mon meilleur ami s'approcha pour lui flatter l'encolure ; j'étais bien trop effrayée. Néanmoins, je me souvins des paroles d'Elian, et tentai de calmer mon rythme cardiaque pour ne pas communiquer ma frayeur à l'étalon.

Il vint finalement vers moi pour me renifler. Je restai immobile comme une statue. Finalement, il dut décider qu'il m'avait reconnue -j'étais venue ici une ou deux fois- et me donna un petit coup de naseaux dans l'épaule, pour quémander une caresse. Je levai doucement la main et la posai entre les naseaux du magnifique étalon. J'adorais caresser les chevaux à cet endroit, c'était si doux !

- Il est magnifique, Elian.

Je n'épiloguai pas, mais un sourire émerveillé resta sur mes lèvres, révélant mes émotions à mon meilleur ami. Je m'étonnais d'ailleurs qu'il ne se lasse pas du spectacle : à chaque fois que je venais, je restais époustouflée par la prestance de l'étalon gris et souriais béatement dès qu'il me laissait le caresser.

- J'aime tellement venir ici. C'est merveilleux.

C'était vrai. Le vent jouait avec quelques mèches échappées de ma tresse, qui volaient en rythme avec la crinière de l'imposant étalon. L'herbe ondoyait comme un fleuve gigantesque sous l'assaut de la brise.

Soudain, comme mus par un seul esprit, les chevaux du troupeau vinrent vers nous au petit trot. Je remarquai juste que deux d'entre eux, sûrement deux juments, restaient avec deux poulains, dont l'un n'était pas vieux du tout. Il devait être le nouveau-né dont m'avait parlé Elian.

Lorsque le troupeau s'arrêta autour de nous, Elian monta d'un geste sûr et fluide sur l'étalon gris. Prudente, je me reculai légèrement tandis que la magnifique bête affichai un air ravi. J'eus un mouvement de surprise lorsqu'Elian, juché à un mètre soixante du sol, me tendit une main et me demanda, avec son sourire si particulier :

- Tu montes en croupe ?

J'allais refuser poliment lorsque le chef du troupeau darda ses immenses yeux noirs sur moi. Je me sentis jaugée, analysée. Je décidai d'avoir le courage de monter, et mis ma main dans celle de mon meilleur ami, qui m'aida à me hisser sur la croupe de l'étalon.

Elian le mit au pas pour que je m'habitue. La sensation était merveilleuse ! Je sentais les muscles puissants du fier étalon jouer sous la robe tachetée, et je fis de mon mieux -qui n'était pas extraordinaire non plus- pouur accompagner ses mouvements. Je mis mes mains autour de la taille d'Elian et me cramponnai à lui. Aucune envie de tomber, merci bien !

Lorsque l'étalon s'était mis en route, le troupeau s'était écarté pour lui permettre de passer, et nous avec -enfin, dessus serait plus exact. Ce fut à ce moment-là que je me rendis vraiment compte des liens qui unissaient un troupeau de chevaux, puisque l'ensemble des bêtes suivit le mouvement de leur chef, à son allure.

Nous voir sur son dos dut rassurer les deux juments qui se tenaient à l'écart, puisqu'elles vinrent en trottant se joindre au reste de leur groupe, leurs petits galopant à côté d'elles. Ils étaient adorables ! Deux jeunes fous qui sautaient dans tous les sens autour du troupeau. Je souris, attendrie :

- Tu as vu les poulains ? Ils sont trop mignons !

Alors que je fixais toujours les deux jeunes poulains en train de sauter dans les hautes herbes, Elian acquiesça à mon émerveillement. Je sentis le sourire dans sa voix, et j'imaginai son regard attendri.

Il allait ajouter quelque chose lorsque l'étalon gris sur lequel nous étions renâcla. Surprise, je serrai plus fort la taille de mon meilleur ami. Et je fis bien, car notre monture s'élança au galop. Je serrai les dents pour ne pas crier d'étonnement et de frayeur ; je ne voulais pas effrayer le chef de troupeau.

- ACCROCHE-TOI ! me cria Elian pour couvrir le bruit du vent qui rugissait à nos oreilles.

J'obéis immédiatement, et raffermis ma prise autour de sa taille. Un instant, je me demandai comment il faisait pour arriver encore à respirer, puis la vitesse me coupa le souffle et je ne pus plus que songer à la course folle que nous étions en train de faire.

La sensation était à proprement parler extraordinaire. Ma tresse s'était complètement défaite, laissant mes cheveux libres dans le vent créé par notre course. Je soupirai une demi-seconde en pensant aux réprimandes de ma mère quand je rentrerais ce soir, mais je me reconcentrai pour ne surtout pas lâcher Elian. Imitant mon meilleur ami, je serrai les jambes -pas trop, juste un peu- autour du ventre de l'étalon, et me laissai bercer par ses grandes foulées régulières.

- C'est merveilleux, murmurai-je, plus à moi qu'à Elian, car je me doutais bien qu'il n'entendrait rien.

Nous devions avoir parcouru une bonne distance quand l'étalon ralentit pour passer au trot, son troupeau se calant sur son rythme. Il fit des cercles concentriques à cette allure en deux temps pour rassembler ses chevaux. Je devais avouer que cette allure était particulièrement désagréable. Je ne savais pas comment serrer mes jambes pour accompagner le mouvement du chef de troupeau, et n'osais pas de fait les serrer de peur de lui faire mal.

J'essayais d'afficher un visage impassible et de réfréner mes gémissements de douleur lorsqu'Elian me proposa de descendre. J'acceptai aussitôt ; mieux valait arrêter avant que je ne puisse plus tenir assise sur une chaise, mes parents auraient posé des questions.

- Oui, je veux bien !

Il stoppa l'étalon, qui ne se fit pas prier pour nous laisser glisser à terre, Elian d'abord. Il me tendit les bras et je me laissai glisser dans son étreinte. Heureusement, je ne lui écrasai pas les pieds ! En me séparant de mon meilleur ami, je notai enfin l'endroit où nous étions. A une quinzaine de mètres de la forêt, dans un secteur que je reconnaissais : à une centaine de mètres droit devant se trouvaient les étangs aux katniss !

J'en fis aussitôt part à Elian ; nous pouvions partir directement, sans revenir à notre point de départ, pour trouver les katniss et continuer vers notre clairière :

- Elian, tout droit en partant d'ici, se trouvent les étangs, ceux où j'ai trouvé des katniss. Ensuite, il suffira de tourner vers le sud pour trouver notre clairière !

Elle accepta ma proposition avec soulagement. J'arretais l'étalon, passait ma jambe par dessus son encolure et sautais à terre. Puis, je tendis les bras et Katlyn se laissa glisser dans mon étreinte. J'esquissais un sourire ravi. Puis, elle se sépara de moi et observa un instant le paysage qui nous entourait.

- Elian, tout droit en partant d'ici, se trouvent les étangs, ceux où j'ai trouvé des katniss. Ensuite, il suffira de tourner vers le sud pour trouver notre clairière ! me dit-elle d'un ton enjoué.

-Passe devant, je te suis ! m'exclamais-je, non moins joyeux.

Nous nous faufilâmes discretement entre les arbres après avoir flatter une dernière fois l'encolure de l'étalon. Le silence calme de la foret me parut tout à coup pesant.

-Tu... Tu crois que je devrais dire à ma mère et à Lyn que je suis.... volontaire (je mimais des guillemets avec mes doigts en prononçant ce mot) pour la moisson ?

La question avait longtemps tourné dans mon esprit.... Et je ne voyais pas vraiment avec qui je pouvais en parler si ce n'était avec ma meilleure amie. Qui, au passage, était en quelque sorte concernée par ce sujet, puisqu'elle aussi était "volontaire". Enfin, je crois.

La forêt autour de nous était silencieuse. Bien trop silencieuse à mon goût, d'ailleurs. Je n'entendais ni le chant des oiseaux, ni le pépiement des écureuils, ni le bruissement de vent dans les feuilles des arbres. La question d'Elian sonna comme un glas dans le silence environnant.

Je m'arrêtai brusquement et me tournai vers lui. Je devais avoir un air vaguement inquiet sur le visage puisqu'il haussa un sourcil en me regardant. Je me concentrai et tentai de paraître un tantinet plus sûre de moi lorsque je lui répondis :

- Je pense que tu devrais... et bien, je ne sais pas. Je l'ai tout de suite dit à mon père parce qu'il a été un rebelle, mais je ne sais pas comment ta mère va réagir. Je pense que Lyn est forte et qu'elle acceptera la nouvelle sans broncher, mais...

Je ne savais pas comment formuler ma pensée. Sa mère n'était pas faible, mais elle n'était pas aussi forte que lui ou moi, ou que mes parents. Et elle protesterait sans doute un bout de temps. Je ne savais pas comment elle allait réagir, et c'était ce qui m'inquiétait le plus. Je la connaissais très persuasive, et j'étais presque certaine qu'elle saurait convaincre Elian de ne pas se porter volontaire. C'était ça qui m'effrayait, ça plus que tout le reste. Devoir combattre seule. Devoir aller au Capitole sans mon meilleur ami...

- C'est à toi de décider, Elian. Penses-tu que ta mère soit assez forte pour accepter la nouvelle sans tenter de te dissuader de te porter volontaire ?

J'écoutais la réponse de ma meilleure amie avec attention, même si elle n'avait pas l'air sûre d'elle. Et j'en arrivait à la même conclusion qu'auparavant.

-Non. Il vaut mieux que je me taise.... Et puis, Lyn n'est pas si forte que ça lorsqu'il s'agit de moi. répondis-je sur un ton un peu peiné.

Je pris la main de Katlyn et nous nous remimes en marche. Le silence nous écrasait à nouveau. Je lançait quelques sifflements pour voir si les oiseaux étaient partis pour de bon où s'ils se cachaient. Aucune réponse. J'imitais un écureil. Toujours pas de réponse. Mes mains se crispèrent.

-Katlyn, je n'aime pas beaucoup ça.....

Ce n'était jamais bon signe lorsque la foret était silencieuse ainsi. En règle général, on finissait toujours par entendre un petit craquement et puis la vie reprenait. Ou bien les animaux me répondaient. Mais pas aujourd'hui.

Le silence qui nous entourait, aussi parfait qu'un lac sans rides, aurait dû m'effrayer. De fait, il m'inquiétait. Mais de longues heures passées dans les bois m'avaient appris à me servir du calme extérieur pour installer la tranquillité en moi. C'est donc apaisée mais néanmoins sur le qui-vive que je continuai d'avancer.

Les animaux ne répondirent pas à Elian lorsqu'il les appela. Ce détail, plus que n'importe quoi d'autre, acheva de m'inquiéter sérieusement. En silence, je lâchai la main de mon meilleur ami et encochai une flèche dans mon arc en noisetier. Il était plus petit et plus maniable que l'autre, le grand en if, et surtout, plus facile à ranger et à sortir rapidement.

Nous continuâmes notre progression vers les étangs aux katniss, toujours entourés par un silence qui avait de quoi effrayer plus d'un connaisseur de la forêt. Pour ceux qui ne s'aventuraient jamais dans les bois, les non-initiés à la beauté de la symphonie de la vie, ce silence était réconfortant. Mais je savais à quel point cette apparente tranquillité pouvait se révéler mensongère.

Je me figeai à la lisière du bois, le souffle court.

Une demi-douzaine de mètres plus loin, aux abords des étangs aux katniss, une douzaine d'hommes en blanc étaient assis et mangeaient comme des porcs. Des Pacificateurs ! Je fis signe à Elian de reculer, sans un mot, mais il voulait voir ce qui m'avait effrayée.

La cause du silence était devant nous. Un groupe bruyant de soldats du gouvernement qui avaient violé la tranquillité et la pureté de la forêt. N'eût été Elian à mes côtés, je les aurais tous abattus comme les porcs qu'ils étaient. Mais la fuite aurait été dangereuse, et je n'étais pas sûre d'échapper aux survivants.

Nous reculâmes en silence, parfaitement synchrones, et, lorsque nous fûmes à une trentaine de mètres de la clairière, nous détalâmes, toujours sans un bruit, vers notre village du Onze.

Je notais que Katlyn encochait une flèche à son arc tout en continuant son chemin, sans faire aucun bruit. Je marchais dans ses traces, par pure précaution.

J'aurais pu lui rentrer dedans lorsqu'elle s'arreta brusquement, mais j'étais tellement tendu que je l'imitais instinctivement, sans réfléchir. J'entendais des voix, des cris, des rires...

Katlyn me fit signe de reculer, mais je passais outre son conseil et mon coeur fit un tel bond dans ma poitrine que je cru que la bande de Pacificateurs qui occupait les abords du lac l'avait entendu. Bien. Super. Génial. Mais qu'est-ce-qu'ils pouvaient bien faire ici ? En tout cas, ils donnaient une représentation du Capitole assez peu... engageante. Exactement ce que j'imaginais de la part de nos chers tyrans. Répugnants, fêtards. Et certainement sans aucun sens de l'honneur.

Je jetais un regard furtif à ma meilleure amie. J'avais peur qu'elle ne tente de les tuer, mais, finalement, nous reculâmes dans un même mouvement et nous partimes au pas de course vers notre village, toujours aussi silencieux.

Je fus surpris en arrivant à l'entrée du village de trouver Lyn qui nous attendait. Elle se jeta dans mes bras, de toute évidence soulagée de nous voir.

-Il y en a plein partout ! Des Pacificateurs ! Dans tous le village ! Liane, Kat' j'ai eu peur qu'ils vous attrappe en train de....

Je coupais cours aux explications de ma soeur en lui plaquant ma main sur la bouche.

-Ailleurs... murmurais-je en guise de consigne.

Elle hocha la tête et me prit la main, un peu plus calme.

-Papa et Maman sont déjà au courant, mais je ne sais pas pour Gale, Elizabeth et Peter.

Je me tournais vers Katlyn en fronçant les sourcils. De nous deux, c'était toujours elle qui savait le mieux comment réagir dans de telles situations. Je commençais d'ailleurs à me demander comment j'allais bien pourvoir me débrouiller dans l'arêne. Surtout si on venait à être séparé.

Lorsque je vis Lyn courir vers nous, un frisson d'appréhension courut le long de ma colonne vertébrale. Je sentais que ce qu'elle allait nous annoncer était mauvais, très mauvais. Et englobait tout un tas de Pacificateurs.

Je ne me trompais pas. Elle nous annonça qu'ils avaient envahi le village. Sûrement une mesure collatérale du fait qu'ils aient fermé toutes les communications entre Districts... Elle nous dit ensuite qu'elle ne savait pas si mes parents et mon frère étaient au courant. Je me figeai. Si mon père était parti, il fallait que je le rattrape. Non qu'il ne soit pas discret dans les bois, mais Elian et moi avions eu beaucoup de chance, et je ne voulais pas qu'il lui arrive malheur.

Je lançai un regard proprement affolé vers mon meilleur ami et détalai en direction de la maison de mes parents, en priant pour que mon père soit toujours entre ses quatre murs. Dans un brouillard de son et d'images, je sentis qu'Elian courait derrière moi.

J'arrivai chez moi et déboulai en trombe dans la cuisine. Ma mère était en train de cuisiner, en compagnie de mon petit frère, qui me sauta dans les bras :

- Oh dis Katlyn, tu repars pas dans la forêt hein ? Y'a les méchants dehors.

Peter était encore si candide ! Pourtant, il avait déjà onze ans. Je le rassurai sur ce point, avant de me tourner vers ma mère, toujours dans ce brouillard d'appréhension.

- Papa... Où est papa ?

Lorsqu'elle tourna vers moi un visage soucieux, je retins ma respiration. Je ne voulais pas savoir, non ! Je ne voulais pas qu'elle me dise qu'il était parti en forêt. Il m'avait déjà raconté la fois où il s'était fait prendre et fouetter, et je ne voulais surtout pas que mon père soit de nouveau livré à la barbarie des Pacificateurs.

- Jilian s'est cassé la jambe en tombant de son toit, ton père est allé aider. Je ne sais pas s'il pourra remarcher un jour, il a la cheville en miettes...

Un soupir de soulagement s'échappa de mes lèvres, bien malgré moi. Mon père était au village !

- Je vais aller voir si je peux les aider, j'ai récolté quelques herbes contre la douleur aujourd'hui.

Ma mère me remercia d'un hochement de tête. Jilian était son frère, mon oncle, et je savais qu'elle s'inquiétait énormément pour lui. Je l'aimais bien, il n'avait jamais rechigné à me faire des cabanes en bois dans la cour, lorsque j'étais enfant.

Katlyn me lança un regard affolé qui m'aurait fait rire si la situation n'avait pas été aussi grave. Elle bondit en avant et partit en courant vers chez elle. Je la suivais sans prendre le temps de réfléchir à quoique ce soit, entrainant Lyn dans mon sillage puisque je ne lui avais pas lacher la main. J'étais moi aussi très inquiet, peut-être pas autant que ma meilleure amie, mais suffisament pour qu'une boule d'angoisse me serre le ventre. Et j'était sûr que ma soeur n'en menait pas large non plus. Après tout, nous considérions Gale, Peter et Elizabeth comme notre deuxième famille.

Nous entrâmes dans la cuisine comme des fous. Elizabeth préparait le repas, et Peter sauta dans les bras de sa soeur. Après un rapide échange de paroles durant lequel la tension était palpable, Elizabeth finit par nous rassurer sur le lieux où se trouvait Gale. Je sentis la main de Lyn se détendre dans la mienne, puis me lacher.

-Tu veux un coup de main ? demanda-t-elle à Katlyn.

Lyn aimait bien passer du temps avec Kat'. Elle apprenait toujours plein de choses utiles, notament sur les herbes. Des choses que malgré tout mes efforts, je n'arrivais pas à retenir ! J'étais même un peu jaloux parfois. Mais bon. Je n'allais pas lui en vouloir nous plus. De toute façon, ma soeur n'osait pas aller dans la foret. Je trouvais ça un peu stupide d'ailleurs, mais il était impossible de la raisonner sur ce sujet. Nous avions tous essayer, sans succès.

J'acceptai avec un sourire l'aide de Lyn. La petite soeur d'Elian était vraiment adorable, et nous passions souvent du temps ensemble. Je lui apprenais les secrets des herbes médicinales, des plantes qui soignent et autres baies soulageant la douleur, mais elle refusait de s'aventurer dans la forêt, malgré tous nous efforts, à Elian et à moi. Pour une fois, je ne tentais pas de la convaincre, les bois grouillants de Pacificateurs.

Nous filâmes vers la maison de Jilian, et entrâmes dans la salle principale, qui tenait lieu, comme chez nous, de cuisine et de salle à manger. Mon oncle était allongé sur la table, tremblant à cause de la douleur. Je m'approchai lentement, et évaluai l'ampleur des dégâts.

Ma mère avait raison, la cheville était en miettes. Et mon oncle n'avait pas les moyens de se payer les services d'un médecin. Nous allions devoir faire avec ce que nous avions...

- Avant toute chose, fis-je d'une voix qui se voulait assurée, je vais t'aider à lutter contre la douleur, oncle Jilian. Il me faut de l'eau bouillante, demandai-je à sa femme, ma tante Selena.

Une fois l'eau portée à ébullition, je fis infuser deux feuilles de chèvrefeuille, trois baies de sureau et un brin de persil. J'attendis trois minutes, en expliquant à Lyn le pouvoir de ces trois ingrédients mélangés. Puis je prélevai une demi-tasse de cette infusion, que je coupai avec de l'eau fraîche pour limiter le temps de refroidissement. Selena fit boire mon oncle, dont le visage se détendit presque immédiatement.

Après avoir salué Gale et l'oncle et la tante de Katlyn, je ressortis dehors. Je ne pouvais pas tellement aider ma meilleure amie, et je ne voulais pas la gener dans son travail. Je m'assis contre le mur, juste à côté de la porte, et me mis à observer le vol d'un oiseau dans le ciel. Il était trop haut pour que je reconnaisse à quelle espèce il appartenait.
Lorsqu'il disparut de mon champ de vision, je décidais plus ou moins consciemment de tracer des dessins dans la poussière en fredonnant. Pour être honête, je m'ennuyais vraiment.
Je me levai, fis quelques pas et parti finalement chercher une petite branche de bois.
Je me rassis à la même place une fois l'objet de ma recherche trouvé. Je pris le petit canif qui trainait toujours dans une de mes poches et commençais à tailler le morceau de bois.