Pour empêcher William de continuer à embêter sa soeur, je me tournai vers lui, avec la voix que j'adoptais lorsque je voulais parler à mon frère quand la situation commençait à partir en cacahuète :

- Et toi, dis-moi un peu : tu as vu la dose de baies que tu as mis sur ta première crêpe ? Il faut un estomac d'ours pour pouvoir tout stocker ! Et c'est toi qui vas grossir si tu continues comme ça, ajoutai-je en riant et en lui pinçant le ventre.

Il protesta qu'il mangeait beaucoup de fruits pour devenir grand et fort comme son père et pouvoir porter les gros sacs de farine quand il serait plus grand. Peeta, le sourire aux lèvres, ajouta alors :

- Tu as entendu Katniss ? Plus de crêpes pour William ! Il doit se nourrir exclusivement de fruits à partir de maintenant.

Les protestations véhémentes de mon petit cousin nous firent éclater de rire :

- Mais non ! J'ai pas dis ça ! Je veux des crêêêêêêêpes !!
- Tu sais William, Katlyn a raison, acquiesça mon père. Les crêpes, ça fait grossir !

Noyé sous les éclats de rire, la pauvre ne savait plus où se mettre. Pour le consoler, je le pris sur mes genoux et lui chuchotai :

- Moi je suis sûre que tu vas devenir grand et fort comme ton papa tu sais.

Je souris en entendant Peeta et Katniss complimenter leur fille. C'est vrai qu'Emily était jolie. Plus que jolie, même. Depuis toujours, j'étais folle de jalousie de ses cheveux d'un chocolat intense, alors que les miens tiraient certains jours sur le châtain et d'autres fois sur le blond. Mais bon. Et elle avait à la place des yeux les deux magnifiques saphirs de son père, râaaaaaah ! Bon, mes yeux gris n'étaient pas mal non plus, mais les prunelles azur étaient plus rares.

Je me reconcentrai sur William qui continuait à me parler avec un débit soutenu du lapin qu'il avait attrapé. Une fois dans le piège -une cage en branches fines, d'après ce que je comprenais-, il avait fixé la cage avec des pierres et avait fabriqué une sorte de corde en tressant des feuilles de fougères. Puis il avait attaché le lapin pour le mettre dans sa besace, en veillant à ce qu'il puisse respirer.

- Katlyn, une deuxième crêpe ?

La voix de Katniss me tira du flot de paroles de mon cousin, et je m'empressai d'acquiescer en tendant mon assiette. Bien évidemment, William fit de même et retourna prestement s'installer sur sa chaise pour dévorer sa crêpe. Je souris. Quel goinfre ! Pire que Peter, quand j'y pensais. Même si mon petit frère était capable d'engloutir une cuisse entière de groosling en trente secondes chrono.

- Dis donc William, quelle descente ! On dirait...

Je m'interrompis, tout en posant un regard évocateur sur mon père. Peeta le remarqua, et termina ma phrase dans un éclat de rire :

-... Gale quand il mange ses groseilles !

Depuis le début du repas, Emily me semblait mal à l'aise, comme si quelque chose la gênait. Elle ne cessait de pencher la tête d'un côté puis de l'autre, et sa nervosité commençait à me gagner, lorsqu'elle lança :

- Dites…comment on va faire s’ils coupent les communications entre les districts pendant aussi longtemps ? On va pas pouvoir rester aussi longtemps sans communiquer, c’est impossible…

Un silence de mort s'abattit sur l'assemblée, seulement troublé par William qui semblait ravi d'accaparer apparemment toute l'attention. Sa mère se leva dans un silence parfait, le prit par la main et lui dit de monter dans sa chambre.

Je comprenais qu'elle soit inquiète pour son fils. Après tout, sur mon idée, sa fille allait se porter volontaire pour entrer dans l'Arène, et elle voulait protéger son cadet. Quoi de plus normal ? Mon père attendit que Katniss se rassoie pour répondre à ma brune cousine.

- Nous ne pourrons plus nous voir, c'est vrai, en tous cas puisque Katniss s'y oppose.

Je restai ébahie. Mon père était d'ordinaire bien difficile à convaincre ! Comment ma tante s'y était-elle prise ? J'étais curieuse de connaître l'objet du chantage, mais je restai silencieuse.

- Et je suppose que les courriers 'habituels' seront contrôlés. Donc, interdiction formelle de s'écrire, les filles. Pas question que vous vous fassiez prendre. Non, je ne sais pas.

J'étais désespérée, bien que je ne le montrais pas. Si nous ne pouvions plus communiquer... Mais mon père ne me laissa pas m'apitoyer sur mon sort.

- Nous allons absolument tout mettre au point avec Katlyn et Emily ce soir, avant de rentrer dans le Onze. Katniss, je voudrais que eu reprennes l'entraînement de ta fille à l'arc. C'est important. C'est ce qui t'a permis de gagner. Peeta, il faut que tu prennes le relais et que tu l'entraînes à l'épée. Tu n'es pas un tireur brillantissime, mais tu t'en sors et je voudrais qu'Emily maîtrise les bases.

Je restai coite. Mon père, refuser de transgresser les règles ?! La menace -celle venant de Katniss, vu le peu de respect qu'il avait pour le gouvernement et ses lois- était plus que sérieuse !

Je hochais la tête en signe d'acquiescement aux paroles de mon père lorsqu'Emily s'écria :

- Gale a raison. Il faut absolument que vous m’entrainiez ! Grâce à Katlyn et Gale je me débrouille déjà bien mais il faut absolument que je m’améliore encore !

Je souris. C'est vrai qu'elle avait fait énormément de progrès en un temps record ! Nous nous entraînions une fois par mois depuis deux ans, les séances devaient être au nombre de vingt ou vingt-et-une, et elle connaissait les positions de base ainsi que quelques feintes et frappes. Il fallait juste qu'elle améliore ses réflexes, mais là, je ne pouvais rien faire et personne non plus. Tout devait venir d'elle !

- Bien sûr que je vais t’entraîner ! Maintenant que je sais ce que toi et Katlyn comptez faire, ma priorité numéro une c’est que tu sois la plus entraîné" possible ! s'exclama Katniss en répondant à sa fille.

J'étais fière d'Emily. Elle avait réussi à calmer -relativement- les angoisses de sa mère et surtout, à obtenir son soutien. J'avais compris, depuis le temps, que si ma tante acceptait quelque chose, mon oncle suivait, à quelques exceptions près -la couleur des gâteaux ou le type de pâte pour les tartes. Mais là, d'après la tête de Peeta, il approuvait entièrement sa femme -et sa fille.

Bien. Au moins, c'était fait ! Avec le soutien de Peeta et de Katniss, je pouvais quitter -temporairement, puisqu'on se retrouverait pour les Jeux- Emily en toute tranquillité. Un poids énorme quitta mes épaules.

Je retournai son sourire à Emily. Ensemble, on y arriverait ! Il fallait qu'on y arrive, de toute manière. Sinon, nos parents seraient tués en représailles. Mais je ne fis pas part de mes pensées à ma cousine. Hors de question qu'elle ait peur !

Je répondis d'une voix sûre :

- Il faut aussi qu'Emily sache parfaitement se déplacer dans n'importe quel environnement, discrètement et en silence. Nous ne savons pas encore dans quelle Arène nous allons être jetées, il faut envisager un maximum de possibilités !

Je me mis à dresser la liste de quelques Arènes notoires : la forêt et le lac, puis l'horloge de l'édition d'Expiation, le désert quelques années avant, les ruines d'une ancienne cité, la forêt glaciaire... Nous pouvions écarter le désert glacial, puisque l'édition de cette année-là avait ennuyé plus qu'autre chose les habitants du Capitole.

J'espérais de tout coeur que l'Arène dans laquelle nous irions aurait une forêt : c'était l'environnement qui m'était le plus familier, et je savais y survivre sans aucun problème durant des jours et même des semaines. Je ne voulais surtout pas tomber sur une Arène contenant un désert chaud, je détestait la chaleur suffocante de l'air trop sec.

Une réponse ironique me brûlait les lèvres, et mon sourire moqueur, bien que j'essayai de le dissimuler, me trahit au regard de mon père, qui me fit signe de me lancer.

Je pris une grande inspiration et répondis en regardant ailleurs, toujours ce petit sourire aux lèvres :

- Et bien, papa n'a jamais appris à faire du glaçage de gâteaux alors...

Je vis que Peeta, loin de prendre la mouche, était plutôt à deux doigts de partir en fou rire, ce qui me rassura. Je continuai :

- Mais je sais me dissimuler dans les bois, si c'est ce que vous voulez dire. Me faire un camouflage de feuilles et de branches rapidement, je sais faire. Même si je suis plus à l'aise pour me cacher dans les arbres, je peux très bien faire ça au sol.

Mon père me sourit. Pas mal, le coup du glaçage de gâteau, hein, semblait-il me dire avec son sourire.

J'avais vu Peeta se camoufler une seule fois. Nous étions toutes petites avec Emily, je devais avoir neuf ans, et nous l'avions mis au défi de se cacher. En une heure, il s'était métamorphosé en tertre couvert de feuilles, de fleurs sauvages et de branches cassées. Nous avions mis presque deux heures avant de déclarer forfait, et il avait simplement ouvert les yeux. Il était là, à un mètre de nous, tout le temps ! J'avais reconnu ma défaite.

Et j'en étais restée soufflée à vie.

Devais-je le dire, ou non ? A voir la tête de mon père, qui avait l'air de s'amuser à un point extraordinaire, je décidai de continuer sur ma lancée :

- Je serais ravie d'apprendre le glaçage de gâteaux, ô Maître Pâtissier Peeta, répondis-je sans pouvoir retenir un éclat de rire.

En réalité, je faisais surtout ça pour cacher mon admiration. Même si je savais que mon oncle était plus que très doué pour décrypter les gens, et je me doutais bien qu'il avait vu clair dans mon petit jeu. Néanmoins, je fis comme si je n'en savais rien et ajoutai d'un air ironiquement sombre :

- Que ceux qui voudront se frotter à nous prennent garde ! Nous avons été formées par le plus grand Maître Glaceur de Panem !

Cette fois-ci, tout le monde éclata de rire. J'étais contente de mon effet : l'atmosphère s'était considérablement allégée, et l'espérance semblait être de retour. Jusqu'à William qui cria du haut des escaliers :

- Maman t'es pas gentille de m'avoir fait partir quand les gens ils rigolent !

Katniss s'excusa auprès de son fils, mais lui intima quand même de rester dans sa chambre ; il n'avait pas encore l'âge de participer aux discussions d'adultes. J'étais d'accord avec elle. William avait tout le temps avant de devoir commencer à se préparer pour l'Arène -et si nous réussissions, il n'aurait jamais besoin de s'inquiéter d'une Moisson.

Emily me surpris lorsqu'elle annonça vouloir me parler et m'entraîna sans plus attendre dans sa chambre. Ne sachant pas de quoi il retournait, je la suivis sans faire d'histoires. Nous montâmes l'escalier en bois doré de la maison pour atteindre le premier étage, où se trouvaient les chambres.

Mine de rien, Emily avait de la chance ! Elle habitait dans la maison de Vainqueur de sa mère, et celle-ci était agencée et exposée de manière agréable au soleil. Les pièces étaient spacieuses et lumineuses. Pas comme chez nous ! Nous habitions dans la maison de jeune fille de ma mère, fille unique. Notre maison comptait seulement quatre pièces, réparties sur le rez-de-chaussée : la salle principale, avec une cheminée, un plan de travail, un vieux canapé et une table pour manger, une minuscule salle de bain sans eau courante, la chambre de mes parents, et notre chambre à Peter et moi -et encore, nous avions un lit chacun, pas comme dans certaines familles où les enfants se tassaient à trois par couche !

La chambre de ma cousine avait les murs peints en jaune très pâle, rendant l'atmosphère printanière et joyeuse. Nous nous installâmes sur le lit et j'attendis qu'elle parle, en la fixant d'un air inquiet.

Le discours de ma cousine me fit monter les larmes aux yeux. Bon sang, elle avait le don de me mettre dans tous mes états, et dieu sait que ce n'était pas facile. Je la serrai fort contre moi lorsqu'elle me prit dans ses bras, en luttant pour ne pas pleurer. Ce n'était pas le moment de faire montre de faiblesse ! Il fallait que je sois forte. Et puis, nous nous retrouverions d'ici un mois, non ? Bientôt, la Moisson nous emmènerait au Capitole.

Je priai très fort pour que ma voix ne tremble pas et répondis :

- Bien sûr que je n'oublie pas. Je t'aime aussi tu sais !

Puis, doucement, je m'écartai d'elle. Je n'avais pas le don -qu'elle avait sans doute hérité de son père- de montrer mes sentiments en parlant. Alors je n'ajoutai rien sur le sujet. Elle me connaissait, elle me comprenait. Je savais qu'elle avait compris que je tenais énormément à elle.

- Hé, tu sais, un mois, on a l'habitude ! tentai-je pour la faire sourire un peu. Ca ne nous changera pas tant que ça hein !

Vaines tentatives, car elle semblait vraiment désespérée. L'échéance se rapprochait, alors je la repris dans mes bras.

Lorsque je la lâchai, Emily me demanda avec un petit sourire :

- D’ailleurs… qu’est-ce que tu crois que ma mère a dit à ton père pour qu’il se range de son côté ? Ca doit être un sacré bon argument parce que ton père n'est pas du genre à se plier aux lois en général. Comme nous tous de toute façon non ?

Sa remarque me fit sourire également. Décidément, elle lisait dans mon esprit ou je ne m'appelais pas Katlyn ! Attendez... Est ce que c'est vraiment mon prénom ?

Je lui répondit en haussant les épaules :

- Je n'en ai pas la moindre idée ! Mais si j'arrive à le découvrir, je te le dirai quand on se retrouvera au Capitole, promis ! Ca m'intrigue d'ailleurs, vu que papa n'a absolument pas peur du gouvernement. Ta mère doit être sacrément terrifiante !

Je ris, car imaginer Katniss en train de menacer mon père, qui faisait bien une tête et trente kilos de plus qu'elle, était assez euh... amusant. Je me demandai si elle lui avait mis un couteau sous la gorge. Mais non, Peeta ne l'aurait pas laissée faire... Enfin, sûrement pas. Mais c'est vrai que cette question me turlupinait. Je me promis d'en faire part à mon père lorsque nous serions sur le chemin du retour.

J'affichai un sourire ravi et étonné lorsqu'Emily me montra la photo de nous deux couvertes de farine et de glaçage. Quel bon souvenir !

- Oh, notre champ de bataille ! Je me rappelle ! Ta mère était horrifiée quand elle est rentrée dans la cuisine. On avait mis de la farine partout !

Je me surpris à rire à ce souvenir. Ah, les années d'enfance, comme elles me paraissaient loin ! Dans ce monde cruel qu'était Panem depuis la restauration des Jeux de la Faim, j'avais dû grandir vite, bien trop vite, pour avoir une chance de mener à bien le plan que j'avais mis en place.

Je ne voulais pas partir. Parce que quitter le Douze, quitter Emily aujourd'hui, signifiait que je me rapprochais encore davantage de la Moisson et de l'Arène. Je voulais de tout coeur renverser le Capitole, bien sûr ! Mais je voulais vivre aussi.

- Moi, j'essayerai d'emmener une petite sculpture en bois que m'a faire Elian. Elle te représente aussi, puisque c'est avec une branche que j'avais ramenée du Douze qu'il me l'a faite.

Je me souvenais tellement bien de ce jour-là. Je m'étais mis en tête qu'il me fallait absolument une branche d'un arbre qui ne poussait pas dans le District Onze pour que mon meilleur ami puisse s'amuser sur un bois nouveau. Nous avions mis des heures à trouver la branche idéale.

Sauf qu'Elian n'avait pas voulu que je garde la sculpture, une minuscule fée taillée dans le bois doré comme du miel : il me l'avait offerte. Depuis, la petite fée était cachée dans une boite dissimulée sous mon lit.

Emily me lança un :

- Ouuuuuuhhhh, Elian... très évocateur.

Je rougis. Ma brune cousine ne cessait de sous-entendre, ou plutôt de «sur-entendre», que je devrais sortir avec Elian. Mais à chaque fois, je lui opposais tout un tas d'arguments plus originaux les uns que les autres. Et puis, je n'avais pas envie de sortir avec mon meilleur ami, pour deux raisons principales : de une, c'était mon meilleur ami, et je n'avais pas envie de risquer le lien spécial qui existait entre nous ; de deux, il allait venir avec moi dans l'arène, et je ne voulais pas prendre de risques. Ou plutôt, je ne voulais pas qu'il prenne des risques inconsidérés pour moi. Déjà qu'il me surprotégeait...

- Arrête, tu veux, Emily ! On en a déjà parlé. Je ne sortirai pas avec Elian.

Malgré tout, je lui souris : je ne voulais pas qu'elle se fâche, alors que nous étions sur le point de nous séparer.