J'entrai dans la salle de commandement de l'Arène. Ma salle préférée -est-il vraiment besoin de le préciser ?- entre toutes. De ce noyau d'ordinateurs et de haute technologie, je décidai à chaque instant du déroulement des Jeux de la Faim. Un luxe, lorsqu'on rappelle que je tiens entre mes mains la vie de vingt-quatre Tributs, issus des Douze Districts de Panem, tandis que leurs familles et leurs amis sont devant d'immenses écrans à prier pour que leur «champion» s'en sorte vivant.

J'observai un instant les sièges vides disposés en cercle autour d'un plan en trois dimensions de la future Arène. Dans un mois, ces fauteuils seraient occupés nuit et jour par des techniciens responsables, sous mes ordres, de ce qui se passerait entre les murs de l'Arène. J'eus un frisson. Mes agents.

Sous l'oeil attentif des Juges, présidés par le Haut Juge que j'étais, ces techniciens mèneraient la vie dure aux Tributs. Rien qu'à cette pensée, un sourire se dessina sur mon visage. Sourire qui disparut à la vitesse de l'éclair lorsque je mesurai l'importance des travaux qui nous restaient à faire avant de pouvoir proposer une Arène digne de ce nom aux écrans de Panem.

Il fallait encore brancher une multitude de caméras, installer et connecter au bas mot quatre cents pièges de toutes sortes aux ordinateurs de contrôle, fermer l'Arène de manière totalement hermétique, prévoir les évènements météorologiques qui perturberaient la survie des Tributs, créer une demi-douzaine de mutations génétiques supplémentaires, et peupler l'Arène de quelques bestioles inoffensives qui serviraient à nourrir nos jeunes candidats, pour peu qu'ils sachent se servir d'un arc ou d'un couteau.

Sans oublier de déterminer avec précision et minutie les objets que les Tributs pourraient se procurer à la Corne d'Abondance, sous réserve de risquer de perdre des plumes -et plus que ça pour certains- lors du tout premier combat des Hunger Games, celui de la Corne d'Abondance.

Je me retournai lorsque la porte de la salle s'ouvrit, et un léger sourire de satisfaction se dessina sur mes lèvres. Mes deux fidèles alliés, Néo Cartwright et Noémie Buckingham, venaient d'entrer dans le saint des saints. A ma demande, évidemment.

Néo avait marché toute la nuit pour être sûr d'arriver à l'heure ce matin là à son rendez-vous. D'ordinaire, il se fichait bien du retard. Mais pas avec Stormer. Non, surtout pas avec lui.

Il s'était brièvement arreté au gymnase pour éviter de faire un détour trop important, son appartement étant situé loin de l'immeuble des tributs, et s'était rapidement douché et changé, histoire de ne pas se présenter couvert de sang, de poussière et de sueur devant le seul homme qu'il estimait digne de respect. Pas le temps pour un petit déjeuner non plus. De toute façon, il avait l'habitude de sauter des repas.

Il aperçut Noémie Buckingham, sa chère "amie", qui l'attendait devant la porte de la salle de commandement. Surprenant. Il ressera le col de sa chemise autour de son cou pour tenter de cacher les ecchymoses violettes qui l'entouraient, sans grand succès.

Néo avait bien faillit y passer cette fois. Le Capitole l'avait envoyé "expliquer gentiment" à un rebelle qu'il ne servait à rien d'essayer de créer un soulèvement. Le fait que cet homme soit armé jusqu'au dent n'avait pas dérangé le Pacificateur le moins du monde. Non. Ce qui l'avait un peu plus embetté, c'était que son chef ne l'avait pas prévenu que ce type avait un frère qui pesait au moins le double du poid de Néo, et que ce frère l'avait surpris en train d'égorger le rebelle. Certe, il y a plus classe comme manière de mourir que d'être égorger comme un porc, mais c'était le plus rapide et le plus discret en général. Et puis, Cartwright aimait bien être proche de sa victime lorsqu'elle rendait son dernier souffle. Quoi qu'il en soit, le frère lui était tombé dessus par derrière et l'avait étranglé jusqu'à ce qu'un coup de coude dans le bas ventre l'envoie au tapis. Deux morts pour le prix d'un.

Ce fut sur ce joyeux souvenir qu'il entra dans la salle de controle, précédé de Noémie.

Anael fit signe à ses deux plus fidèles lieutenants d'avancer sur la petite estrade qui surplombait les ordinateurs et la carte de l'Arène. Et note avec satisfaction qu'ils se tenaient à une distance non négligeable l'un de l'autre. Parfait.

- Comme vous le savez déjà, l'Arène des 78° Hunger Games se situera [1]. Malgré le foisonnement de cette zone en pièges déjà installés, il nous faut régler les derniers détails qui permettront aux Tributs de survivre quelques jours -gibier, nourriture, etc.

Froid comme la glace, Stormer se tourna vers Néo et ficha ses yeux d'un bleu polaire dans les siens :

- Cartwright, les tests de douleur avec les [2] avancent bien ? Je veux qu'on puisse déterminer si oui on non nous les introduirons dans l'Arène très rapidement, afin d'avoir le temps d'en produire d'autres si nécessaire.

Cet homme n'était nullement gêné par toutes les tortures qu'il faisait subir à pas mal de gens, d'abord des prisonniers et ensuite les malheureux Tributs qui avaient eu la malchance d'être tirés au sort. De plus, l'Arène ce cette année promettait d'être grandiose, plus terrible que les autres, plus terrible encore que l'Horloge de la dernière Expiation.

Oui, ce serait absolument parfait. Il haussa un sourcil en direction du Pacificateur en attendant que celui-ci lui donne la réponse à sa question.

Néo sourit intérieurement. Le fait que Stormer s'adresse d'abord à lui plutôt qu'à Noémie devait sûrement la rendre furieuse. Nullement gêné par le regard de glace du Haut-Juge, il prit quelques minutes pour réfléchir.

-Il nous reste deux tests à faire. Pour l'instant, nous n'avons que six morts sur les vingts prisonniers. Tous [3] dans des régions [4] assez sensibles. On test les [5] cet après-midi. Vous aurez mon rapport complet ce soir, demain matin au plus tard. Y compris mon exposé détaillé sur la douleur que j'ai ressenti lorsque j'ai effectué les premiers tests en tant que volontaire. répondit Cartwright d'une voix légèrement éraillée par la fatigue.

Il grimaça au souvenir très "agréable" de ce qu'il avait dû endurer avant d'être appelé pour une mission-suicide. Il n'avait pas compris de suite en quoi elle était suicidaire, mais bon, au moins, ça avait brisé l'aspect routinier et ennuyeux de sa vie actuelle. Et puis, ses recrues avaient pû souffler un peu elles aussi, et ils espéraient les retrouver en forme. Histoire de les épuiser encore plus par la suite.
"Soit je suis masochiste, soit je suis trop soigneux dans mon travail. Ou bien les deux." ne put-il s'empecher de penser.
Il avait quand même frolé la mort en se soumettant aux tests, et de très près cette fois.

Stormer écouta avec beaucoup d'attention le discours, ou plutôt le compte-rendu, de Cartwright. Si tout allait bien, il pourrait prendre connaissance du rapport sur les tests de cette semaine dans la soirée. Parfait. Et demain, Anael prendrait en compagnie de ses lieutenants la décision d'intégrer ou non les [6] dans l'Arène.

Ces [7] risquaient d'être fichtrement intéressantes ! Très distrayantes pour le Capitole, parfaitement intimidantes pour les citoyens des Districts, et absolument cruelles pour les Tributs. Exactement le genre de choses dont on avait besoin dans une Arène si l'on voulait qu'elle soit réussie.

Stormer était satisfait de Cartwright -du moins, pour cette fois. Il devait avouer que les ressources de cet homme étaient très intéressantes, pour qui savait les utiliser... et lui, Anael, savait les utiliser.

Le Haut Juge se tourna ensuite vers la seconde personne qu'il avait convoquée dans la salle de commandement de l'Arène, Noémie Buckingham, sa première assistante :

- Avons-nous reçu les rapports des techniciens chargés d'installer les caméras ? Je veux qu'ils aient terminé après-demain soir au plus tard, il faut que nous puissions mettre en place d'autres pièges que ceux déjà présents pour pimenter un peu ces Hunger Games.

Anael acquiesça à chaque phrase de sa première assistante. Tout était parfait, tout était en ordre. Et il était impatient de voir la vidéo des tests sur le Pacificateur, le seul à s'être porté volontaire pour ces essais. Assurément, ces [8] allaient plaire aux habitants du Capitole... et effrayer ceux des Districts. Mais n'était-ce pas le but des Jeux ?

- Je vois que tout est en bonne marche, merci Noémie. Bien. Que diriez-vous de nous asseoir ? Venez.

Anael précéda les deux autres dans un petit salon attenant à la salle de contrôle, une petite pièce chaleureuse où les Juges pouvaient se reposer, boire et manger durant la journée. Il effleura la table, et aussitôt, une demi-douzaine de Muets vinrent apporter des petits gâteaux, des mignardises, des pâtisseries, ainsi que diverses boissons.

Stormer prit un Scotch Pur Malt, et se renfonça dans son fauteuil avec son verre et une brioche au miel. Il dégusta la boisson et la mignardise, puis repris la conversation commencée dans la salle de contrôle de l'Arène.

- D'après tes données, Noémie, les caméras seront toutes installées demain vers vingt-trois heures. Je veux donc que des Pacificateurs de votre unité spéciale, Cartwright, puissent commencer à poser les pièges que nous n'avons pas encore mis en place après-demain, dès l'aube, après avoir vérifié qu'aucun technicien ne soit resté dans l'Arène.

Néo ne put s'empecher de lancer un regard glacial à Noémie. Une vidéo, hein ? Il espérait qu'il n'en existait pas. Il n'avait strictement aucune envie de revivre ce moment, ni que Stormer et son assistante puisse le voir dans l'état de faiblesse dans lequel il était durant les essais. Il se demandait encore pour qu'elle raison réellement valable il s'était porté volontaire.

Il suivit le Haut-Juge dans le salon avec un certain soulagement. Il allait pouvoir souffler un peu. Il prit seulement un verre d'eau; il n'avait pas faim et l'acool après une nuit entière de marche et l'estomac complètement vide, ce n'était pas forcément une très bonne idée.
Il s'enfonça dans son fauteuil en s'efforçant de rester attentif et de ne pas se laisser envahir par la torpeur due à sa fatigue.

Cartwright fit un effort considérable pour rassembler ses idées et répondre à Stormer.

-Je ferais le nécessaire. Préférez-vous que j'aille avec eux ? demanda-t-il d'une voix ensommeillée.

Aie aie aie, mauvais... Il ne devait pas s'endormir... Surtout pas...
"Reste réveillé, reste réveillé, resteréveillé, resteréveil..."
Il piqua du nez malgré lui une première fois mais réussit à se redresser.
"Reste réveillé Néo, réveillé, réveillé, rév..."

Anael s'apprêtait à répondre au Pacificateur lorsqu'il s'avisa que celui-ci tendait à piquer du nez. Il se reprit une fois, sous le regard glacial du Haut Juge -Haut Juge qui n'avait pas l'habitude qu'on s'endorme alors qu'il était en train de parler- mais ne parvint pas à se redresser une seconde fois.

- Parfait Cartwright, vous accompagnerez la première équipe, qui sera chargée d'installer les pièges mécaniques dans le secteur trois. C'est le plus étendu, c'est donc par là que nous commencerons. Les pièges non mécaniques seront mis en place ultérieurement, et uniquement par les ingénieurs scientifiques qui les auront créés.

Stormer avait bien remarqué que le Pacificateur à qui il s'adressait n'avait entendu aucun mot de la tirade qu'il avait prononcée, trop occupé à... dormir. Il soupira. Bien sûr que la mission dont il avait chargé Cartwright avait dû être exténuante et lui prendre la totalité de la nuit, mais ce n'était pas une raison ! Anael lui demandait juste d'être attentif une petite heure avant de pouvoir regagner son lit, ce n'était quand même pas trop demander !

- Cartwright, vous m'écoutez ? Cartwright !

Voyant que cela ne servait à rien, le Haut Juge décida de passer à la vitesse supérieure. Il se leva avec lenteur, sans mouvements brusques, s'empara d'un verre d'eau qui reposait sur la table et, d'un geste fluide, en vida le contenu sur la tête de Cartwright.

Noémie qui n'avait pas relevé le regard de Néo suivit Stormer et pris un verre d'eau dans lequel elle mit une cerise à l'intérieur. Elle en attrapa une autre et la grignota en s'asseyant tranquillement et sans gêne sur un fauteuil.
Elle ne perdit pas une miette de la conversation qui avait lieu devant elle. Ou plutôt du monologue de Stormer vu que la fatigue commençait à avoir raison de Néo.
Au vu des marques sur son cou, il devait à peine revenir de sa dernière mission et ne devait aspirer qu'à une nuit de repos. Hélas pour lui, à la place, il allait devoir affronter Stormer...

Quand le sommeil attrapa totalement le tueur, il aurait dû rester debout l'imbécile... Stormer se leva, visiblement très vexé. Noémie le suivit du regard et posa son verre par terre, quoiqu'à l’abri de coups de pieds maladroits.
Elle se leva à son tour et pris la carafe d'eau qu'elle débarrassa de son bouchon. Elle regarda le visage de Néo avec attendrissement tandis que son patron vidait un verre d'eau sur sa tête pour le réveiller.
Puis elle balança généreusement toute l'eau de la carafe sur la tête et tout le reste du corps de l'endormit, un grand sourire sur les lèvres.

"Désolé, dit-elle à Stormer en rebouchant et reposant la carafe sur la table comme si elle venait de se servir d'un verre d'eau. Mais je rêvais depuis longtemps de cet instant..."

Puis elle ne tourna vers Néo, à présent parfaitement réveillé.

"Juste un petit coup de fouet pour bien te réveiller complètement d'ici la fin de la réunion..." lui dit-elle avec tendresse mais un sourire sadique sur les lèves.

Puis elle se rassit en reprenant son verre posé par terre, comme si de rien était.

Néo se réveilla en sursaut avec un hoquet de surprise lorsque Stormer vida son verre d'eau sur lui, hoquet qui se transforma en cri de protestation lorsque le contenu de la carafe suivit. Le souffle coupé, trempé jusqu'aux os, il secoua la tête, aspergeant les deux autres au passage. Il palit en se souvenant d'où il était et de ce qu'il faisait avant de s'endormir. Il leva ensuite les yeux vers le Haut-Juge en déglutissant.

-Je... Je suis désolé.... dit-il d'une voix blanche.

Il avait l'impression de se liquifier de terreur sous le regard particulièrement glacial et désapprobateur d'Anael, mais ne détourna pas les yeux et ne laissa rien paraitre.
Il ne prit pas la peine de répondre à Noémie qui avait dû jouir du spectacle. Il s'en occuperait plus tard.
Le Pacificateur posa brièvement sa main sur sa gorge qui recommençait à le faire souffrir suite à son cri.

"Tu n'aurais pas pu te ridiculiser plus que ça.... Bravo... C'est du bon travail...." pensa-t-il amèrement.

Stormer reposa le verre, vide désormais, sur la table en bois sombre. Il ne prêta guère d'attention aux excuses de Cartwright, et lui réexpliqua ce qu'il attendait de lui. Bien sûr, le Pacificateur acquiesça et le Haut Juge prit ça pour une validation de sa présence lors de l'installation ultérieure des pièges mécaniques. Cartwright faisait vraiment pitié à voir. L'eau qu'il avait reçue dévoilait les ecchymoses violacées qui couraient le long de son cou, stigmates ô combien révélateurs de la difficulté de la mission qu'il avait du accomplir durant la nuit.

- Allez vous coucher, Cartwright.

Devant l'air ébahi de sa première assistante et du concerné, Stormer soupira, se passa la main sur le visage et répéta avec lenteur :

- A-llez vous cou-cher Cart-wright.

Constatant avec irritation que le message n'avait toujours pas été assimilé par le Pacificateur -ni par Noémie, mais ça, c'était accessoire-, le Haut Juge se rencogna dans son fauteuil et expliqua d'une voix calme, mais où transparaissait un certain agacement :

- Vous êtes crevé, Cartwright. Vous n'avez pas dû voir un lit depuis... au bas mot, soixante heures. Vous transportez vos bagages sous vos yeux, c'est assez violet d'ailleurs, jolie couleur. Donc, vous allez dans le salon contigu, vous vous allongez sur un canapé et vous revenez dans deux heures. Exécution.

Le regard que le Haut Juge posa sur le Pacificateur motivait n'importe quel individu récalcitrant à suivre à la lettre ses ordres. Et Anael savait que ce regard était particulièrement efficace sur ce Pacificateur.

Néo hocha la tête pour confirmer qu'il s'occuperait du fameux secteur trois. Il se sentait toujours aussi mal-à-l'aise vis à vis du Haut-Juge.

Aussi, il cru mal comprendre lorsque celui-ci lui demanda d'aller se coucher une première fois, et le fixa, stupéfait.
Lorsque Stormer répéta pour la deuxième fois son ordre, Cartwright ne put s'empecher de se demander s'il se foutait de lui ou s'il était réellement sérieux. Il lança un regard furtif à Noémie qui n'avait pas l'air plus avancée que lui sur la question. Bien au contraire.
Il finit par comprendre qu'Anael ne lui faisait pas une mauvaise blague quand il lui expliqua pourquoi il tenait absolument à le voir aller se coucher. Il avait l'air vraiment agacé d'ailleurs.

"Pas de soucis, j'y vais de ce pas, Haut-Juge de mon coeur......" pensa-t-il avec une certaine ironie pour les quatre derniers mots.

Le Pacificateur se leva.

-Merci... murmura-t-il d'un ton sincèrement reconnaissant.

Il partit vers le salon sans demander son reste, aussi silencieux qu'un chat. Il entra dans la pièce, referma la porte sans bruit et s'écroula sur le canapé où il s'endormit roulé en boule au sens presque littéral du terme.